Le contexte « numérique » est étonnamment précaire pour la conservation des images :
L’évolution de la photographie « numérique » est passionnante : nous sommes la première génération de photographes à utiliser le support numérique comme support exclusif de création. Cette évolution dynamise le marché de la photo car désormais chacun peut créer, stocker, partager une quantité importante d’images, à moindre coût. (850 Milliards de photos créées en 2012. source : Future Source Consulting).
Mais, comparativement à cet essor, les moyens disponibles pour le traitement, le partage et l’archivage des fichiers image ont proportionnellement peu évolué : prolifération de fichiers propriétaires et fermés, logiciels non-interopérables, sans référence de comparaison simple sur les traitements, gérant l’information (métadonnées) de façon hétérogène et redondante, absence de gestion des sauvegardes, pas de gestion d’archivage, pas de normalisation cohérente.
De ce fait, la situation du photographe qui aurait l’idée de conserver ses images numériques quelques années est compliquée. Rien n’est proposé pour l’orienter et l’aider à maintenir en condition opérationnelle ses logiciels et ses photographies. Pour le moment, sur le plan de la conservation, nous pouvons réellement parler de précarité, s’agissant de données dont la particularité est spécifiquement d’être non-reproductibles …
Et le tirage papier ? Il reste le moyen de conservation le plus simple et le plus fiable ! Pourtant, le tirage papier est fortement déprécié (baisse constante de 10% par an du nombre de tirage) puisque seulement 1,5% (source : Future Source Consulting) des photos prises sont tirées…
Alors que faire pour rester dans le confort du « tout » numérique ? Il faut commencer par éclaircir les limites du fonctionnement numérique. La question la plus importante est de savoir si ses fichiers seront lisibles dans le futur. Or, on peut prétendre le contraire, surtout avec le RAW.
Voici 4 arguments qui font du RAW un format inadapté à la conservation.
La première raison est son obsolescence rapide.
Pour rappel, le fichier RAW comporte les données brutes collectées par capteur au moment de la prise de vue. Il permet au photographe de traiter son image par lui-même, sur son ordinateur, plutôt que de laisser faire les automatismes de son appareil.
Par nature, le format du fichier RAW est dépendant du capteur et de sa technologie puisqu’il en collecte les données brutes. En conséquence, chaque capteur dispose de son propre format RAW. On devrait d’ailleurs éviter de parler de « RAW », mais plutôt « de formats RAW » car ils sont tous différents.
De ce fait, la durée de vie d’un format RAW est liée à la durée d’utilisation du capteur associé. Lorsqu’un appareil n’est plus fabriqué, le format RAW associé disparait rapidement. L’obsolescence prévisible du format RAW l’empêche d’être un support de conservation fiable.
Oui, me répond-on mais ils (les constructeurs) feront bien quelque chose de mes RAW, et j’ai le temps de convertir ! Cette réponse est légitime. Mais les enjeux économiques expliqués dans le chapitre suivant concluent le contraire.
La seconde raison est l’absence d’une base commune et généralisée du RAW.
L’évolution prodigieuse de la technologie des capteurs induit une prolifération gigantesque et disparate des formats RAW associés.
D’une part, pour le photographe, la prolifération des fichiers RAW cloisonne les populations utilisatrices autour d’un même format, diminuant aussi leur représentativité dans l’équation économique de l’industriel.
D’autre part, pour les industriels, la prise en compte perpétuelle d’un ensemble important de formats RAW différents, utilisés par de petits groupes de consommateurs est source de difficulté technique et limite la rentabilité des offres.
Prenons l’exemple des reflex de la gamme Nikon. Environ 30% des appareils de type réflex sont vendus par Nikon. Or, la gamme 2012 comporte 15 modèles. Cela signifie qu’un appareil reflex, à sa sortie, ne représente en moyenne que 2% des parts de marché des reflex… Lorsqu’on sait que la part de marché des reflex ne dépasse 10% du marché des appareils photo, que beaucoup de photographes utilisent le JPEG exclusivement, on comprend que la population des utilisateurs d’un même format RAW n’est pas significative.
Pire encore, une population de photographes avertis (et donc particulièrement intéressée par la conservation de ses images) disposent probablement d’un matériel plus onéreux (pour vous permettre de juger, sachez que le prix moyen d’un reflex est de 650 euros) et de fait, s’isole encore d’avantage sur le plan des parts du marché « numérique »…
La troisième raison est la non-maitrise des propriétés du RAW.
Les formats RAW sont considérés comme des secrets de fabrication du constructeur. De ce fait, le constructeur cache les informations permettant d’utiliser les données de l’appareil par un autre moyen que ceux prévu par lui-même. Cela tend donc à rendre le logiciel du constructeur comme le moyen unique et exclusif de lecture.
Les offres concurrentes de logiciel sont contraintes par de telles dispositions et le photographe de migrer facilement d’un logiciel à un autre lorsque le besoin se fait sentir. Si la pérennité de Nikon est grande (Kodak était aussi une entreprise importante), il reste à démontrer que le logiciel « Capture NX » sera maintenu dans le temps avec l’ensemble des RAW existants…
La quatrième raison est son incapacité à évoluer pour s’adapter aux futurs besoins.
Le format RAW est structurellement figé par ses spécifications liées au matériel. Cela le prive des possibilités d’adaptation de ses propriétés en vu d’évolution du besoin, tant sur le contenu (la nature des informations utilisable par les logiciels) que le contenant (c’est-à-dire le format de l’enveloppe regroupant les informations). Le bénéfice des évolutions technologiques (évolutions des algorithmes de compression de l’information, signature, évolution du standard des métadonnées) n’auront pas d’applicabilité possible sur les formats RAW d’aujourd’hui. Le photographe collecte donc des milliers d’images dans un format RAW qui nécessitera, si possible, la conversion vers d’autre format.
Conclusion… provisoire
D’un point de vue « conservation », le format RAW n’est pas le « négatif » de la photo numérique comme on entend souvent. C’est certainement un fichier à développer, mais ses possibilités de conservation ne peuvent être comparées à celles d’un négatif de photo argentique. De là à dire qu’il s’agit d’un format jetable… tout dépend de ce que les industriels vont faire.
Or, jusqu’à présent, les industriels (et notamment les plus déterminants comme Nikon ou Canon) ont démontré qu’ils ne traitaient pas le sujet. Pour éviter l’impasse, une veille technologique exigeante s’impose : nous savons déjà que nous serons amenés à convertir nos RAW dans les années à venir.
Adobe propose un format commun séduisant, qui supprime le lien entre le capteur et le fichier RAW, capable d’évoluer et en cours de normalisation ISO. Son succès passera nécessairement par l’adoption massive et rapide du format par les photographes. Ce n’est pas encore le cas… il y a des raisons. On en discutera. En attendant, il faut se rappeler, « qu’il vaut mieux avoir tort ensemble que raison tout seul ».
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